MARION Clément 

Epreuve écrite d’admission à la formation diplômante au Diplôme d’Etat d’enseignant spécialisé de la musique.

Musiques actuelles amplifiées, option guitariste.

Ravi Shankar, l’extraordinaire leçon.

Réflexion sur un champ d’application possible en musiques actuelles.

Une chose fascinante, que je n’avais pas envisagé à la base, m’est apparu lors de ma modeste expérience au sujet de l’enseignement : en plus d’avoir le loisir de transmettre son savoir et sa passion, les élèves nous apprennent aussi énormément. Quelque part ils nous apprennent à devenir professeur, à évoluer et nous améliorer. Cela me fait penser à l’expression de Françoise Dolto « on ne nait pas parents on le devient ». Il en va de même avec l’enseignement. Il est impossible de débuter avec une méthode pédagogique bien établi et immuable. C’est sur le terrain que l’on pourra vraiment confronter sa méthode à la réalité, faire voler en éclat ses dogmes, se réajuster, se réinventer, se remettre en question. 

Pour ma part, j’ai commencé en enseigner la guitare électrique et acoustique, systématiquement à l’aide de support écrit : partitions, tablatures, schémas… J’ai moi même appris l’instrument principalement de cette manière et cela m’a paru naturel de reproduire ce schéma. Néanmoins, pour compléter ce travail sur partition, j’associais un travail d’écoute et de mise en situation en jouant le morceau ou le plan en contexte, sur le titre original, sur un backing-track ou sur les pistes du logiciel guitar pro.

J’ai rencontré dans mon parcours quelques élèves qui étaient de purs autodidactes, ils avaient déjà un bon bagage et une excellente oreille car ils avaient beaucoup travaillé le repiquage des parties de guitare de leurs idoles à partir de supports audio et vidéo. Ils possédaient une grande facilité pour retrouver un air entendu, le mémoriser, visualiser et reproduire un geste. Par contre ils ne savaient pas déchiffrer la musique et n’étaient pas à l’aise même avec des tablatures. Je me suis donc adapté et j’ai travaillé avec eux uniquement de manière orale. Libéré de toute écriture, les cours ont prit une nouvelle dimension. Pour travailler un solo par exemple, je le décomposai en petites sections et pour chaque plan de guitare, je faisais une démonstration au ralenti, l’élève m’imitait et je le corrigeais si besoin en terme de technique ou de phrasé; une fois le plan compris nous le travaillons en boucle pour le mémoriser et le jouer de plus en plus vite. Les résultats de ce processus assez lent s’est avéré très concluant. Les élèves comprennent et entendent parfaitement ce qu’ils jouent. Il en résulte une meilleur mémorisation et interprétation musicale. En plus de ces résultats musicaux intéressant, l’atmosphère du cours s’en est trouvé plus vivante. L’interaction prof-élève est plus forte, il y a comme un échange magique dans cette transmission orale. J’ai alors essayé de généraliser cette aspect de la pédagogie. Je garde des supports écrits mais désormais il sert à l’élève surtout pour le travail à la maison, le cours se passe principalement de manière orale. 

Cette oralité m’a également permis d’avoir de bien meilleurs résultats avec les jeunes débutants.  Cela permet je trouve de rester en phase avec la spontanéité propre à l’enfant. J’essaie d’y mettre une notion de jeu et d’amusement tout en leur inculquant la notion de travail et de rigueur. J’essaie de faire travailler leur imagination et leur créativité dont ils sont généralement bien pourvus. J’essaie de les mettre en confiance et les inciter à expérimenter. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à me montrer leur trouvailles, un petit rythme ou quelques notes. J’aime dans ce cas rebondir sur l’idée de l’élève et l’accompagner ou lui donner des pistes pour enrichir sa trouvaille. Ce genre de situation les rends généralement follement enthousiastes! Je pense que les premières années d’instruments pour un enfant doit être une période de jeu et d’expérimentation.

En parallèle de ces expériences pédagogiques personnelles, j’ai eu l’occasion de visionner une vidéo qui m’a terriblement fasciné et inspiré. C’est un documentaire diffusé sur arte qui se nomme : « Ravi Shankar, l’extraordinaire leçon ». J’apprécie énormément la musique indienne, en particulier celle de Ravi Shankar et de sa fille Anoushka. C’est une musique pour moi bien mystérieuse et dépaysante pour mes oreilles occidentales, dont la complexité mélodique et rythmique m’impressionne, et la charge émotionnel me touche profondément. Ce célèbre sitariste, décédé en 2012 à l’âge de 92 ans, a choisi en 2008 la salle Pleyel  à Paris pour faire ses adieux à la scène. Il a donnée la veille de ce concert une grande master-class dans cette même salle, accompagné de ses musiciens et de sa fille et disciple Anoushka. Le documentaire propose une captation de cette master-class ainsi qu’une évocation de sa carrière, des extraits de concerts et des témoignages de ses disciples. Cette vidéo est assez exceptionnelle, d’abord pour connaître la vie de Ravi Shankar, un grand musicien qui a su marquer aussi bien la musique indienne qu’occidentale, deuxièmement pour s’initier à la musique indienne et comprendre quelques uns des ses éléments. Et enfin, ce document permet de découvrir un pédagogue exceptionnel et inspirant. C’est cet aspect là que je vais developper dans ce dossier. En effet c’est vraiment une extraordinaire leçon de pédagogie. La musique savante indienne est une musique de tradition orale, basé sur une relation “guru’’ (maître) à shishya (disciple) très forte. Je pense qu’il y a un enseignement à tirer de cette manière de faire, bien sûr en sachant l’intégrer dans notre propre contexte socio-culturel, et l’appliquer dans mon champ d’action qui est le mien à savoir l’enseignement de la guitare en musique actuelles. Les musiques actuelles amplifiés qui rappelons-le descendent en grande partie du blues, musique de tradition orale par excellence. 

Je vais dans un premier temps vous présenter quelques extraits issus de ce document, paroles de Ravi Shankar en personne, de Henri Fournier un flutiste musicologue spécialiste en musique indienne, Anoushka Shankar sa fille et Subhendra  Rao un de ses disciples. Pour conclure je développerai quelques pistes à propos de mon sujet intitulé : Ravi Shankar, l’extraordinaire leçon. Réflexion sur un champ d’application possible en musiques actuelles.

Interventions marquantes du documentaire

Anoushka Shankar :

« Je crois que mon premier cours a eu lieu en Inde. Mais j’ai étudié avec lui à Londres, en Californie et dans des milliers de chambres d’hôtel. J’ai étudié avec mon père là où nous étions. Quand j’étais enfant, il savait donner un sens à des choses très abstraites, car ce système musical est très complexe. On ne peut pas tout écrire. Expliquer ce qu’est un “raga’’ par exemple. Il comparait les “raga ’’ à des personnes. Il disait du’on peut rencontrer des gens qui se ressemblent, une personne vous rappelle quelqu’un, même yeux, même nez. Mais ces personnes sont différentes. On voit d’abord les ressemblances mais en apprenant à les reconnaître, on voit la personne telle qu’elle est. C’est pareil entre deux “raga’’, il liait les éléments à des exemples. Il me racontait l’histoire d’un homme au sommet d’une montagne en pleine méditation, pour évoquer un sentiment. Ou bien il comparait à un homme devant choisir entre deux maitresses, comme hésiter entre deux notes sans pouvoir choisir. Sa façon d’enseigner permettait de saisir le contenu émotionnel, ce qui est primordial. » 

Voici un premier enseignement intéressant. Anoushka est donc la fille du maître et est devenu son élève. Très doué elle a appris vite et est devenu également une sitariste connu internationalement. Son père parle de miracle. Elle est donc un témoin privilégié de son enseignement. Anoushka aborde la faculté de son père pour expliquer une notion abstraite à un enfant. Il pourrait être intéressant de suivre une démarche similaire pour expliquer la notion de mode à un enfant, voir même un adulte.

Henri Tournier :

« l’enseignement se passe sous forme de cours où l’on copie pas à pas les improvisations du maître. Cette façon permet de s’imprégner d’une image qui et toujours en mouvement, puisqu’elle est toujours improvisée. Et elle permet de s’imprégner de la musicalité du maître mais également de sa logique musicale, de ses idéees, de ses structures. Elle a fait tout ce parcours d’apprentissage onc elle a intégré le vocabulaire du maître. Elle est très proche de lui au jours le jour et progressivement elle va construire son propre parcours, son propre vocabulaire. »

J’ai choisi cet extrait pour mettre en évidence la relation qui existe en le maître et l’élève et la notion d’imprégnation. L’élève se nourri littéralement du jeu du maître. A terme l’élève aura absorbé une partie du bagage musical du “guru’’ et dans une phase de maturation , il pourra enrichir cet héritage solide par sa personnalité propre.

Subhendra Rao (disciple de Ravi Shankar)

« J’ai pris ma première leçon avec lui quand j’avais huit ans. Je suis allé à Delhi, Bombay, Bénarès, Calcuta quand il avait plus d’une semaine de libre. Puis en 1984, il m’a demander de venir vivre habiter à Delhi parce qu’il voulait monter une école. C’est la façon traditionnelle d’aprendre la musique indienne, le disciple ou “shishya ‘’ vit avec le maître, le “guru’’. La musique était enseignée de cette façon. Mais en même temps avec un “guru’’, on apprend pas uniquement la musique, mais aussi la vie. Et rien qu’en le voyant, en vivant avec lui, en parlant avec lui, il m’a guidé à travers différentes choses, pour faire de moi un musicien accomplii. »

« Les gens disent qu’un “guru’’ c’est comme Dieu. La connaissance est pratiquement divine dans la culture indienne. La connaissance est représenté par Sarasvati, déesse des arts, de la culture et du savoir. C’est primordial. Comme le guru représente le chemin vers la connaissance, la pluspart des gens vous diront qu’ils vénèrent leur “guru’’.

Ces deux extraits mettent en avant les différences culturelles séparant l’Inde et la France. On peut bien sur s’inspirer de cette relation maître à élève mais il faut la replacer dans un contexte occidental, ou le rapport avec la connaissance et à l’enseignement est radicalement différent. Néanmoins il peut être intéressant de créer une relation prof élève forte, fondé sur une solide base de respect, et essayer d’enrichir l’élève au delà du simple domaine musical. 

Ravi Shankar : 

« Qu’avez vous à l’esprit quand vous jouez? Le plus important, c’est de fixer dans votre esprit ce que vous voulez jouer. Il faut choisir un “raga’’. Une fois que vous l’avez choisi, vous pouvez choisir aussi le “tala’’, le cycle rythmique dans lequel vous voulez jouer. Cela entre dans votre subconscient automatiquement. Et quand on commence à jouer… C’est ce que je fais pour ma part… J’élimine tout le reste de mon esprit. Il y a le son du « tampura’’, le bourdon. Ensuite, le vide se fait. Je ne dis pas qu’on doit être religieux, penser à Dieu… Cela ne peut pas être décrit, c’est tellement spirituel. Chaque note se met à vibrer dans votre esprit, et de façon naturelle, si vous ressentez cela, les larmes vous montent aux yeux. Si vous pouvez  ressentez cela, si vous pouvez jouer les notes avec ces émotions là, cela aura de l’effet sur l’auditeur  […] Qui peut être un bon étudiant? Croyez vous que le talent soit suffisant? Je ne le pense pas. Vous pouvez avoir tout le talent du monde, si vous n’avez pas ce qu’on appelle « lagan’’… “Lagan’’ c’est la passion, l’amour de quelque chose. »

Voici une très belle intervention du maître qui nous parle de notion fondamentales en musique, qu’il ne faut jamais perdre de vue : jouer en conscience, et avec passion, avec coeur. Il est bon de transmettre ce principe à un élève, qu’il ne gratte que quelques accords ou qu’il soit intéressé par la virtuosité, voici la base.

 Ravi Shankar : 

« Comment j’enseigne la musique à mes élèves? Je ne peux pas procéder de la même manière que mon guru. Il fallait se lever à 4h30 du mation et s’exercer quatorze à seize heures par jour. C’était un procédé très différent. Aujourd’hui le monde a changé. Selon moi, cela conserne notre capacité à apprendre. Je parle de musiciens talentueux, vraiment talentueux. Ils peuvent apprendre beaucoup plus vite grâce aux progrès de la technologie. Depuis les disques, gramophones jusqu’à la radio et la télévision, on peut écouter de la musique quand on le veux. Même quand on voyage, on peut écouter la musique d’un grand maître. En occident, d’une certain façon vous être beaucoup plus… organisés, car les musiques sont écrites. Nous n’avons pas cet avantage, notre système est basé sur l’écoute et la mémorisation. Maintenant il est devenu courant de voir nos étudiants écrire la musique. La situation n’a jamais été aussi bonne qu’aujourd’hui. »

Cet extrait est remarquable car il est rare d’entendre un grand maître évoquer le fait que même si le travail acharné est indispensable lors de la période d’étude, l’évolution des technologies va favoriser d’autres formes d’apprentissage, qu’il estime plus rapide. Ravi Shankar fait là preuve d’une grande ouverture d’esprit. Il faut je pense à son image, en tant qu’enseignant, s’adapter à son époque et à son contexte culturel et technologique. C’est un aspect très important, je pense, dans l’enseignement des musiques actuelles, musique en perpétuelle mutation. 

Pistes de réflexion

A la suite de cette étude de documentaire, j’aimerai approfondir l’étude de la transmission orale de manière plus large. J’aimerai m’intéresser à d’autres musiques de tradition orale comme par exemple le blues, le jazz manouche, la musique Kabyle ou la musique traditionnelle bretonne. Je rechercherai les publication ayant attrait au sujet. J’aimerai bien faire un travail sur le terrain en m’entretenant avec des acteurs de ces musiques afin d’avoir une vision concrète actuelle et vivante du sujet. J’aimerai également faire un état des lieux sur les modes de transmission en musiques actuelles, transmission orale, écrite ou complémentarité des deux. Interroger les élèves quand à leur ressenti face a ses différentes manières d’enseigner. J’aimerai faire émerger de ses recherches une meilleur compréhension de ce processus qu’est la transmission orale, afin d’être à même de l’intégrer dans ma pédagogie au sein de l’enseignement des musiques actuelles.